L’histoire limitée aux « grands » de ce monde est une histoire qui manque de vérité parce qu'elle manque de réalité
Si nous devons résumer ce que nous avons appris en quelques lignes, nous dirons tout simplement :
« Contrairement à une vision simpliste binaire qui situe les vilains exclusivement aux sommets des hiérarchies sociales, les itinéraires des internés de La Lande et de leurs proches vont montrer sur le terrain que chaque niveau de la société a contribué à l’élaboration et à l’exécution de la Shoah, à des degrés différents et avec de nombreuses nuances. Comme nous le verrons aussi, un petit nombre de non-Juifs à chacun de ces niveaux de la hiérarchie ont osé défier les ordres venus d’en haut. »
Notre intention n’est en aucun cas de diminuer l’importance de la découverte et de l’analyse des grandes lignes de l’histoire, celles qui traitent du sort des nations à travers les initiatives de leurs institutions nationales et celles de leurs leaders. Bien au contraire, ce sont des travaux fondateurs à ce sujet qui ont éveillé mon intérêt au début des années 90 et qui continuent à nourrir, jusqu’à ce jour, le besoin constamment renouvelé de comprendre une réalité passée. Une réalité qui porte d’ailleurs les racines du présent et du futur à travers des forces de longue durée. Il est cependant impossible de vraiment appréhender l’histoire sans accompagner l’événement dans sa descente vers la réalité pour mesurer son impact.
Comment peut-on, par exemple, justifier la disparité entre, d’une part, les innombrables débats médiatiques et politiques de l’establishment historique autour des décisions prises au sommet des hiérarchies française et allemande, et d’autre part, la pauvreté relative d’analyses détaillées des résultats de ces décisions sur le terrain, le vrai royaume de la vérité ?
Sur « l'importance » des empreintes digitales de Philippe Pétain, Maréchal de France
Une illustration parmi tant d’autres du magnétisme qu’exercent les dirigeants du sommet nous est fournie par un article publié dans Le Monde [*] en 2010 et modifié en 2022 sous le titre : Découverte du texte original établissant un statut pour les Juifs sous Vichy - Le document, …, comporte des annotations du maréchal Pétain, qui durcit considérablement des mesures déjà « extrêmement antisémites ».
Ce document démontre en effet à juste titre que Pétain avait non seulement signé le décret bien connu de la mise en place du Statut des Juifs, mais qu’il avait aussi participé à son élaboration, ce qui nous amène à une questions-clé qui se passera de réponse : Pour bien comprendre ce qui s’était passé en France, est-il plus important pour les historiens de reconnaitre l’empreinte digitale de Pétain sur un document venant de son administration et connu depuis des décennies que de combler notre déficit de compréhension de l’impact de ces directives sur les gens qui en ont vécu les conséquences ?
Nos observations précédentes s’appliquent aussi bien à la hiérarchie allemande : les actions allemandes en Indre-et-Loire ne se sont passées ni à Berlin ni à Paris. Les intentions de Berlin ont dû traverser, en parallèle avec les intentions françaises, toutes les strates de la société jusqu'à ce que leur effet se fasse sentir. C'est la compréhension de la genèse de cet effet qui est importante.
L'Histoire de haut en bas et de bas en haut
C’est pourquoi nous avons choisi une approche composée qui nous a mis, selon les besoins, face à face avec les multiples niveaux des hiérarchies. Notre travail échappe de ce fait à une définition étroite : microhistoire ou macro-histoire ? Plutôt les deux que l’un ou l’autre. En fait, tout simplement un travail d’histoire humaine qui a mis face à face des gens qui avaient vécu des deux côtés du Statut des Juifs tout au long de l’échelle sociale. Ce point de vue multidimensionnel est indispensable à la compréhension de l’organisme vivant qu’est la société présente ou passée.
La seule faiblesse éventuelle de notre travail réside dans notre capacité d’appréhender et de transmettre la complexité de cet organisme vivant …