La rencontre entre l'individu et l'événement
Ce projet est né par hasard en mai 1992 à l’occasion d’une courte visite à l’Institut YIVO (Institut de recherche juive, 15 W 16th Street, New York, NY 10011), où, m’avait-on dit, je pourrai trouver – chose surprenante – les archives de l’UGIF (Union Générale des Israélites de France), une organisation dont la création avait été ordonnée en 1941 entre autres pour régir les rapports entre les Juifs de France et les nouveaux maîtres du pays.
En fait, j'étais allé à YIVO dans le but d'étayer Un Hiver en Provence, mon premier travail d'histoire de la Shoah (Voir la page Ouvrages précédents), et c'est au cours de l'examen de l'inventaire que j'avais noté la présence imprévue d'environ 1300 lettres et cartes postales non-remises aux internés juifs du Camp de La Lande a Monts en Indre-et-Loire, car le camp avait été « liquidé ». Ces lettres avaient toutes été envoyées entre le mois de juillet et le mois d’octobre 1942, une période critique pour les Juifs en France car elle marque une accélération dramatique des déportations. Cette accélération venait s’ajouter aux mesures répressives du Statut de Juifs (Octobre 1940) qui excluaient les Juifs de nombreuses professions et interdisaient leurs mouvements hors de leurs résidences assignées.
L’employé s’excusa de ne pouvoir me faciliter l’examen, car le microfilm avait été prêté à une université : je devrai me « contenter » de voir les originaux ! « Contenter » s’avèrera être un euphémisme, car la première lettre aura déclenché, par pur hasard, un intérêt ininterrompu qui aboutira à notre travail, La Force d’Etre, d’Aider et de Secourir, disponible sur Amazon.
La première lettre de la série, celle qui se trouve en haut des paquets que l’archiviste me présente, avait été envoyée de Paris par Gisèle à son époux Joseph Matalon, « détenu civil, Prison Michelet, Tours, Indre-et-Loire ». Il s’agit de la prison allemande où étaient, entre autres, détenus des Juifs arrêtés pour tentative de passage de la zone occupée à la zone non-occupée à travers la ligne démarcation. La tentative de Joseph d’échapper aux mesures antijuives avait été brutalement interrompue. Nous verrons avec plus de détail ce qui l’avait motivé.
L’adresse « Prison Michelet, Tours » est rayée et remplacée par « Camp de Lalande ». La poste a fait suivre, apparemment trop tard, car Joseph n’est déjà plus au camp puisque la lettre n’a pas été remise. Aucune adresse d’expédition ne figure au dos de l’enveloppe.
On devine Gisèle et Joseph très jeunes.
C'est la lecture de cette lettre en mai 1992 qui attisera mon désir de savoir ce qui s'était passé au Camp de La Lande. Qui étaient tous ces gens-là ? Que leur était-il arrivé ?.
J'ai pris quelques photos au hasard et ces lettres ne m'ont plus quitté depuis leur découverte. En 1997, Fruma Mohrer qui s'occupait des archives de YIVO à l'époque me fournira une copie des trois microfilms qui contenaient tout ce courrier – ce qui permettra un travail à distance bien plus efficace. La copie des microfilms facilitera les choses et Je plongerai occasionnellement dans le courrier du Camp de La Lande, lorsque mes autres activités professionnelles et mes deux premiers travaux historiques le permettront. Les découvertes occasionnelles qui en résulteront entretiendront le désir d'en savoir plus et paradoxalement, le temps aura favorisé la réflexion.
En 2014, Dominique s'est jointe au projet qui a pris de la vitesse et de l'étendue. Un projet qui a abouti aux deux volumes avec lesquels nous allons vous familiariser dans les pages qui suivent.
Ce projet a deux visages que nous explorons sur les pages de notre site. Un des visages, c’est celui des internés du Camp de La Lande et de leurs familles à travers le courrier qui leur avait échappé. Quant au deuxième visage, le côté historique, c’est l’héritage de ces gens-là – leur courrier et les documents administratifs – qui nous a permis de le reconstruire.